J’ai grandi à la Pelotière
L’ architecture de La Pelotière évoque celle d’une une citadelle protectrice. Découvrons ce quartier au travers de la parole d’Aya et de Kujtim, deux jeunes habitant·es, qui nous ont raconté leur trame sociale. Aya est née à la Pelotière tandis que Kujtim est venu s’y installer à l’âge de 6 ans. Maintenant adultes, les deux jeunes jettent un regard en arrière de leur enfance à leur passage à l’âge adulte. Leurs mots évoquent un quartier unique empli de solidarité, de diversité culturelle d’attachements, et de respect entre les habitant·es. Cependant, un regard extérieur aux pupilles stigmatisantes. Oui, il serait inapproprié d’omettre que la Pelotière est un quartier dont la population souffre de stigmatisations. Ces écrits exposent donc l’expérience vécue par Aya et Kujtim. Comment ont-ils grandi, évolué dans ce quartier de Versoix.
« Je l’aime parce qu’on est un quartier soudé et solidaire et on se pousse toujours vers le haut »
Kujtim
« La Pelotière, c’est le seul quartier si tu n’as pas de sel, tu peux aller à 2 heures du mat, tu peux aller chercher du sel chez ton voisin »
Aya
Notre enfance
Un entre soi contraint et protecteur
Quand Kujtim est arrivé à la Pelotière, il s’est tout de suite familiarisé avec l’ensemble des habitant·es. Fan de football depuis très jeune, il a su rentrer dans un club très vite. De cette passion, de grandes affinités avec les enfants de la Pelotière et de Versoix sont nées. Kujtim se souvient de sorties quotidiennes avec ses amis et de rendez-vous fixés sur la place ou au terrain de foot. À cette époque, une grande mixité de genre était présente. Les filles comme les garçons jouaient ensemble dans une atmosphère très joyeuse et protectrice. Aya parle souvent de la Villa Yoyo qui l’a marqué durant son enfance. Comme Kujtim, elle sortait très souvent pour retrouver ses ami·es. Cependant, elle a davantage investi la Villa Yoyo avec ses ami·es, elle y jouait, et faisait ses devoirs. Si les habitants de la Pelotière n’ont en aucun cas le choix de leurs voisins. [1]Donzelot, J., Epstein, R., & Simoes, J. M. (2009). La ville à trois vitesses et autres essais. Editions de la Villette., cet entre-soi contraint a pourtant procuré un sentiment de sécurité à Aya et Kujtim. Il/elle s’y sont sentis à l’aise et en confiance. Leur entre soi rime avec contraint et protecteur. Oui, Aya l’exprime « Grandir à la Pelotière, c’est grandir en sécurité ».
« Grandir à la Pelotière, c’est grandir en sécurité »
Aya
La mixité culturelle source de tolérance
La multiculturalité présente à la Pelotière leur a permis d’acquérir une plus vaste vision du monde. Aya nous parle de sa « mamie », cette femme qui était uniquement sa voisine et qui grâce à la proximité du voisinage, a tissé une amitié interculturelle avec sa mère et sa famille.
« Une suissesse 100 %, moi qui suis d’une famille tunisienne, elle s’occupait de ma sœur et moi depuis qu’on est né parce qu’elle s’est fait amie avec ma mère par notre voisinage. Et jusqu’à aujourd’hui, elle est dans notre vie ».
Kujtim rejoint également cette idée que la mixité culturelle peut-être la source de tolérance, de respect face aux autres cultures.
« On a tous vécu ensemble, on a mélangé les différentes cultures. On a su vivre ensemble sans différencier les gens »
L’époque de l’insouciance
Les deux jeunes sont d’accord sur le fait que durant l’enfance, ils n’avaient pas conscience que leur quartier était stigmatisé. L’enfance aussi appelée l’âge de l’innocence porte bien son nom. Durant cette période, Aya comme Kujtim ne sortaient pas régulièrement de leur quartier et donc n’avaient pas d’autre vision de ce dernier que la leur. Les habitant·es de la Pelotière n’investissent pas leur quartier uniquement comme le lieu où l’on habite, mais bien plus comme un lieu de socialisation où l’on crée des liens et partage des moments de vie avec les différents habitants de celui-ci. Aya l’expose parfaitement : « Grandir à la Pelotière c’est grandir en dehors de Versoix. » Comme si la Pelotière était un petit village avec ces propres codes et normes externe à la ville de Versoix.
Notre adolescence
Un quartier relationnel
Il semble pertinent de réfléchir à ce quartier de Versoix, comme un espace relationnel et non comme un contenant, afin de comprendre le sentiment de sécurité et la mobilité d’Aya et Kujtim. Cette Pelotière apparaît comme presque vivante. En effet, Selon B. Emmeneger, la population influence l’espace, mais l’espace influence également la population. [2]Emmenegger, B. (2017). Conceptualiser l’animation socioculturelle – un agir professionnel en vue de la participation démocratique et de la cohésion sociale (Le social dans la cité). ies, … Continue reading Oui, il/elle ont un lien fort avec leur quartier. Il/elle se considèrent à la maison à travers son espace. Aya s’exprime à ce propos « Moi quand je rentre dans mon quartier je n’ai plus peur de rien. » Cette vision relationnelle du quartier se retrouve également dans le discours de Kujtim. « Oui, bien sûr, parce que j’ai tous mes amis et je connais tout le monde, il n’y a pas de gens inconnus. Du coup, c’est ça qui me faisait me sentir chez moi. » En somme, il/elle considèrent véritablement la Pelotière comme un espace relationnel et ainsi ce lien leur procure un sentiment de sécurité. Aya exprime véritablement une différence entre la Pelotière et Versoix. Pour Kujtim, la différence est moins signifiante.
« Difficile de sortir de la Pelo, encore plus quand tu es un garçon »
Aya
L’investissement sexué de l’espace
Arrivé à l’adolescence, Kujtim se rend compte que les filles prennent « naturellement » leur distance. Il ne comprend pas réellement pourquoi. Il se crée alors un groupe d’amis entièrement masculin soudé trainant dans l’espace extérieur du quartier. Aya quant à elle, a passé toute son adolescence au Rado. Elle parle de souvenir qu’elle n’oubliera jamais et un lieu dans lequel elle s’est investie avec ses ami·es. C’était un lieu de rendez-vous, un lieu de partage, mais surtout un lieu à l’abri et instructif pour l’autonomie et la responsabilité.
En effet, selon Horia KEBABZA & Daniel WELZER-LANG [3]Kebabza, H., & Welzer-Lang, D. (2003). Jeunes filles et garçons des quartiers : une approche des injonctions de genre. Toulouse : Université de Toulouse-Le Mirail, équipe Simone, sagesse. 89., les filles s’approprient davantage les lieux de vie d’un quartier, tandis que les garçons sont davantage présents dans l’espace public. Aya se rendait au Rado en gardant une mixité de genre dans ses relations, contrairement à Kujtim qui investissait l’espace public en ne restant qu’avec des garçons.
Prise de conscience
En arrivant au cycle et en étant confrontés à des jeunes de tout Versoix et ses environs, Aya et Kujtim ont pris conscience des différents stigmates ou idées reçues qui pouvaient exister à propos de la Pelotière. Aya nous explique qu’en commençant à « trainer » avec d’autres gens, elle a découvert la vision souvent faussée que les gens avaient de son quartier. La notion de cubisme décrite par B. Emmenegger expose le fait que la vision sur un objet est différente par notre posture, notre position face à ce dernier. [4]Emmenegger, B. (2017). Conceptualiser l’animation socioculturelle – un agir professionnel en vue de la participation démocratique et de la cohésion sociale (Le social dans la cité). ies, … Continue reading Cette notion permet de mettre en évidence dans le cas précis de la Pelotière que la vision des habitant·es de Versoix et de la population de la Pelotière est complètement différente. Kujtim expose qu’il trainait presque uniquement avec des gens de la Pelotière puisqu’il se sentait parfois jugé par les autres. Aya exprime également ce sentiment. Elle se sentait parfois différente des autres jeunes de Versoix.
Nous, jeunes adultes
Une mobilité inévitable
Aujourd’hui, il/elle sont fier·ères et reconnaissant·es à l’égard de leur quartier. Cette mixité culturelle, cette solidarité, en d’autres mots : le voisinage, a soutenu leur évolution, leur transition vers l’âge adulte. . Kujtim nous le dit si bien : « Le quartier on l’aime pour des raisons, moi je l’aime parce qu’on est soudés, solidaires et on se pousse tout le temps vers le haut. » Finalement, il est essentiel de ne pas réduire la Pelotière à cet entre soi contraint. qui s’atténue dès la fin de l’adolescence comme le parcours d’ Aya et de Kujtim en témoigne. En effet, Donzelot expose le fait qu’il est possible de sortir d’un entre soi contraint, de trouver des affinités ailleurs. [5]Donzelot, J., Epstein, R., & Simoes, J. M. (2009). La ville à trois vitesses et autres essais. Editions de la Villette. Cependant, Kujtim évoque un élément intéressant. « Mes potes, ils m’invitent dans leur quartier, je vais sans problème, même eux je leur propose de venir, eux par contre ils viennent moins pas parce qu’ils ont peur ou quelque chose, c’est juste parce que c’est loin. » Kujtim doit donc faire des efforts de mobilité s’il veut garder des liens d’amitié en dehors de la Pelotière. Il se trouve donc atteint d’une certaine vulnérabilité.
« On est un quartier solidaire, on a su tous se mélanger et vivre ensemble, on ne se différencie pas »
Kujtim
La porte de sortie
Aujourd’hui, Kujtim a grandi et pourtant son cercle d’amis est resté pratiquement le même. Ils se retrouvent souvent sur la place de la Pelotière et investissent les quelques spots du quartier. Kujtim est heureux d’avoir toujours le même cercle d’amis qui le pousse sans cesse vers le haut. Quant à Aya, elle parle de fraternité et dit être invitée au mariage des uns et des autres. Elle a su garder des contacts mixtes. Pour Aya et Kujtim, leur mobilité est donc inévitable et elle fait partie intégrante de leur quotidien.
Les liens de participation organique de S. Paugam [6]Paugam, S. (2014). Intégration et inégalités : deux regards sociologiques à conjuguer in S. Paugam (dir), L’intégration inégale, force, fragilité et rupture des liens sociaux, 1-23. sont intrinsèquement liés à la mobilité dans le cadre d’un quartier comme la Pelotière. Aya l’expose parfaitement.
« Je pense que c’est quelque chose qu’il faut oser faire. C’est allé à l’extérieur. Et enfaite l’école, le travail, la formation, les voyages, c’est ça qui te permet de sortir de ta zone »
Nouvelle vision
C’est dès le début des études post-obligatoire que se crée une véritable mobilité entre Versoix et Genève. Il/elle prennent conscience qu’habiter à Versoix offre ce quotidien empli de mobilité. Aya et Kujtim doivent prendre le train et faire de longs trajets simplement pour aller poursuivre la suite de leur formation. Toutefois, c’est en commençant à côtoyer des personnes en dehors de Versoix qu’il/elle se sont rendu compte que leur quartier n’était pas si différent d’autres quartiers populaires de Genève. Kujtim révèle un élément intéressant. Selon son expérience, il est plus difficile de postuler à Versoix qu’en Ville de Genève. En postulant à Versoix il a l’impression de subir des jugements par son lieu d’habitation, la Pelotière. Finalement, tous ces stigmates ont fait naitre chez Aya et Kujtim une envie de se battre, de réussir pour prouver aux gens que les idées qu’il/elle se font de la Pelotière sont fausses. Grandir là-bas est devenu, avec le temps, une fierté.
« Ça fait d’où je viens, ça fait qui je suis aujourd’hui… J’ai grandi à la Pelo je viens de la Pelo et j’ai eu beaucoup de chance, je crois »
Aya
Réalisation
Lena Vitali, HETS Genève
Claudia Sthioul, HETS Genève
Gaëtan Zinder, HETS Genève
David Amstutz, HETS Genève
References
↑1, ↑5 | Donzelot, J., Epstein, R., & Simoes, J. M. (2009). La ville à trois vitesses et autres essais. Editions de la Villette. |
---|---|
↑2, ↑4 | Emmenegger, B. (2017). Conceptualiser l’animation socioculturelle – un agir professionnel en vue de la participation démocratique et de la cohésion sociale (Le social dans la cité). ies, 177-198 |
↑3 | Kebabza, H., & Welzer-Lang, D. (2003). Jeunes filles et garçons des quartiers : une approche des injonctions de genre. Toulouse : Université de Toulouse-Le Mirail, équipe Simone, sagesse. 89. |
↑6 | Paugam, S. (2014). Intégration et inégalités : deux regards sociologiques à conjuguer in S. Paugam (dir), L’intégration inégale, force, fragilité et rupture des liens sociaux, 1-23. |