Les TSHMs sont des travailleurs sociaux qui tentent d’entrer en contact avec les jeunes, selon un principe de libre adhésion, de respect de l’anonymat et de confidentialité.

Dans une ville en transition comme Versoix, qui rassemble de multiples groupes sociaux, les jeunes et la collectivité attendent des réponses institutionnelles quant à certains de leurs besoins au niveau local. Pour répondre à cela, les TSHMs développent et mettent en place de multiples outils et activités, en collaboration avec la commune.

Les autorités communales de Versoix, la FASe (Fondation genevoise pour l’animation socioculturelle) et les TSHMs collaborent depuis quelques années pour favoriser l’intégration sociale des jeunes. L’un des points crucial de ce mandat est d’encourager les jeunes à évoluer en tant que citoyens actifs au sein de leur communauté. L’objectif est donc de prévenir ou d’apaiser toute forme de tension ou d’exclusion sociale pouvant naître au sein de la population.

Premier regard sur les P’tits jobs

Un des outils sur lequel les TSHMs (travailleurs sociaux hors-murs) de Versoix s’appuient pour entrer en relation avec les jeunes, est le « Petit Job ». Il s’agit de petits travaux payés en liquide, qui s’effectuent sur une base régulière ou non et qui ne demandent aucune expérience professionnelle préalable. Si au travers de leurs missions, les TSHMs offrent disponibilité et accessibilité sans seuil, sans enjeux et sans exclusion, l’outil Petit Job, quant à lui, n’est pas sans condition [1]FASe (2017). Référentiel opérationnel du TSHM à la FASe.. Dans le cadre de ceux-ci, le jeune doit être âgé entre 15 et 25 ans. Il doit aussi accepter de signer un contrat et doit obligatoirement vivre sur la commune de Versoix.

Si au premier abord, le Petit Job peut donner l’impression de n’être qu’une opportunité pour les jeunes de se faire un peu d’argent de poche, nous avons découvert que derrière cet outil bien ficelé, les TSHMs mènent une mission avec de nombreuses finalités complémentaires.

On a l’impression que les Petits Jobs c’est juste gagner 20 francs sur deux heures, mais c’est pas du tout ça. Y’a un réel impact au niveau sociétal.

Samie Hamadouche, TSHM à Versoix

La proximité familière

Afin de parvenir à ces finalités, nous avons remarqué que les TSHMs, au travers de l’outil Petit Job, utilisent deux approches pour travailler avec les jeunes de Versoix. La première de ces approches est la proximité familière. [2]Breviglieri, M. (2008). L’individu, le proche et l’institution: Travail social et politique de l’autonomie. Informations sociales, 145, 92-101. Celle-ci consiste à accompagner le jeune dans un principe d’éducation et de proximité. Nous avons constaté que les TSHMs créaient une relation de confiance avec ces jeunes. Cette proximité se situe vis-à-vis du Petit Job, mais va au-delà.

Oui, franchement ils sont super serviables, gentils et ils sont vraiment à l’écoute, quand on a quelques choses à leur demander. Du coup, je trouve que c’est super sympa d’avoir des personnes à qui on peut se confier ou demander quelque chose sans avoir besoin d’y réfléchir à dix mille fois : Mon dieu j’ai peur d’y aller ! Est-ce que je devrais demander ou pas ? Du coup je trouve que c’est cool.

Emilie (nom fictif), une jeune des Petits Jobs

Cela amène ces jeunes à évoluer dans un espace qu’ils connaissent, où ils se sentent bien. C’est tout l’intérêt de l’agir dans la proximité familière que l’on retrouve dans ces Petits Jobs. Lorsqu’on parle d’agir dans la proximité familière, on suppose que l’accès aux Petits Jobs doit se faire sans condition et qu’elle doit répondre à la demande du jeune. La raison principale qui émane de cette demande est de gagner un peu d’argent de poche.

Oui du coup, ça va bientôt faire 2 ans que j’ai commencé avec les TSHMs et du coup je trouve que c’est un bon moyen pour les jeunes, parce que moi ça m’a bien dépannée. Par exemple quand j’ai travaillé l’été, ça m’a permis de payer mes livres. Des fois, quand j’ai besoin de sortir… Bah j’ai des petits sous à côté pour faire mes loisirs. Du coup, je trouve que c’est assez cool et c’est un bon projet pour les jeunes.

Sarah (nom fictif), une jeune des Petits Jobs

On veut beaucoup développer cet outil, parce que plus ça va, plus on a de demandes et le Covid l’a encore renforcée. On s’est rendu compte que cette crise sanitaire a paupérisé les couches de la population et du coup, aujourd’hui, beaucoup de jeunes qui nous demandaient aucun Petit Job viennent nous solliciter pour travailler et avoir des Petits Jobs pour payer une facture téléphonique, un abonnement de train, etc… On voit que c’est un outil qui permet de pacifier temporairement les relations entre parents et enfants et que la question financière est vraiment au cœur d’énormément de familles actuellement.

Olivier Dunand, TSHM à Versoix

Cependant, bien que cette motivation pécuniaire semble commune à tous les jeunes, la proximité familière met aussi l’accent sur l’importance d’une mise en activité rapide de ceux-ci. Cela, si possible, dans des environnements qui lui sont familiers. Aussi, lorsque le jeune commence un Petit Job seul ou en équipe, il est d’abord accompagné dans sa tâche et on lui propose différents supports pour apprendre et progresser.

Typiquement sur la Pelotière, on a fait bosser des jeunes de la Pelotière qui, je ne dirais pas méprisaient, mais en avaient un peu rien à foutre de l’environnement. Du coup on a vraiment essayé, quand on faisait un balayage, de cibler notre public.

Samie Hamadouche, TSHM à Versoix

Ouais et aussi genre, quand on était en train de ramasser les déchets on se rendait bien compte qu’en fait, bah c’est pas bien de jeter les déchets par terre… 

Amélie (prénom fictif), une jeune des Petits Jobs

Quelque part y’avait l’aspect financier, les jeunes étaient payés mais y’avait un vrai côté éducatif et de sensibilisation aux déchets. Typiquement, y’avait des jeunes qui fumaient constamment des cigarettes et bin ça les a bien fait chier de ramasser des mégots et du coup, quelque part, ils se sont éduqués eux-mêmes.

Samie Hamadouche, TSHM à Versoix

Cette atmosphère familière et sans pression que les TSHMs mettent en place pour les jeunes permet aussi de se retrouver entre pairs, de passer un bon moment, d’échanger et parfois, de se confier. L’outil Petit Job est donc un bon moyen pour les travailleurs sociaux d’entrer en relation et d’offrir un soutien particulier aux jeunes versoisiens. Les jeunes avec lesquels nous avons pu nous entretenir nous l’ont bien fait ressentir.

Tu crées une relation, tu approfondis la relation. C’est souvent un espace un peu privilégié pour le jeune et y’a souvent des choses qui sortent. Un des objectifs, c’est de renforcer le lien avec le jeune. Après, à lui de voir s’il veut dire des choses, s’il formule une demande d’aide, simplement avoir un temps d’échange avec un travailleur social.

Olivier Dunand, TSHM à Versoix

Naan parce que les Petits Jobs, c’est pas comme… Tu t’dis pas que tu vas travailler. On s’entend avec eux comme s’ ils étaient des amis donc, c’est plutôt agréable, sans pression. En plus, je travaille avec mes copines donc c’est vraiment chouette.

Sarah (nom fictif), une jeune des Petits Jobs

Ça me permettait de me sentir plus grande, avec l’idée de me débrouiller. En plus, je faisais les Petits Jobs avec toutes mes copines de Versoix.

Sarah (nom fictif), une jeune des Petits Jobs

Lorsque nous nous sommes immergés au sein des Petits Jobs, nous avons vu les jeunes apprendre par la mise en action et entrer dans une forme de construction personnelle et professionnelle. Parce qu’une des finalités du Petit Job c’est aussi ça. Dans un contexte genevois au sein duquel il est de plus en plus difficile de trouver une place d’apprentissage et où il faut savoir mettre en valeur ses ressources et ses compétences les jeunes nous expliquent à quel point l’aide des TSHMs leur est bénéfique. Même si ce coup de pouce ne débouche pas forcément sur des opportunités d’embauches concrètes, le soutien dont ils bénéficient pour apprendre à constituer un CV, se préparer à un entretien d’embauche ou simplement apprendre à respecter des horaires et des engagements professionnels, semblent être très appréciés des jeunes.

Aujourd’hui, on est dans une société qui est ultra compétitive et souvent, des jeunes nous interpellent pour les aider à faire des CV ou des lettres de motivations. Nous, l’outil Petit Job il nous permet de compléter et de gonfler un peu ces CV. Par gonfler, j’entends apporter les diverses expériences que les jeunes gagnent à travers cet outil. 

Samie Hamadouche, TSHM à Versoix

Y’a pas eu de proposition directe mais des débouchés de stage intéressants pour entrer dans une formation.

Olivier Dunand, TSHM à Versoix

Si au fil de nos entretiens, nous avons remarqué que le profil social ou l’anamnèse du jeune n’a aucune importance pour avoir accès à un Petit Job, nous avons tout de même découvert qu’il arrive que certains jeunes, qui ne sont pas citoyens de Versoix, ne puissent pas en bénéficier. Même s’ils côtoient les travailleurs sociaux et le centre d’accueil pour la jeunesse de la commune, les limites du mandat sont claires. Pour les TSHMs, il s’agit d’un obstacle dans leur travail auprès de certains jeunes.

Il y a des personnes qui travaillent à la mairie de Versoix qui habitent le canton de Vaud et d’autres qui habitent en France et pour quelqu’un qui habite à 30 mètres de la mairie, réellement, 30 mètres de la mairie, il ne peut pas bénéficier de l’outil Petit Job car il n’est pas de la commune de Versoix.

Samie Hamadouche, TSHM à Versoix

On a pu amener les générations à se côtoyer et on a eu beaucoup de retours du fait que ça créait beaucoup de liens intergénérationnels.

Samie Hamadouche, TSHM à Versoix

Un agir artisanal

Puis, à travers l’outil Petit Job, nous avons observé une seconde approche avec laquelle les TSHMs travaillent à Versoix. Elle apparait comme étant artisanale, car elle s’axe sur des demandes et des besoins spécifiques émanant des jeunes [3]Sennet, R. (2010). Ce que sait la main – la culture de l’artisanat. Yale University Press.. Ensemble, ils échangent sur la situation actuelle du jeune et explorent les potentiels leviers d’intégration dont ils disposent pour que ce dernier s’approche de son but. Ceci lui permet de prendre conscience de l’investissement et du travail qu’il reste à faire pour que ses projets aboutissent. En complément de l’approche familière, qui se focalise sur un accompagnement éducatif, cette méthode artisanale, qui s’inscrit dans le temps, répond à des besoins ciblés. Elle permet de faire du « sur-mesure » avec les jeunes.

Le Petit Job amène les jeunes à apprendre par des « essais-erreurs ». Même si les propositions de Petits Jobs ne sont pas systématiquement en lien avec leurs envies professionnelles, ceux-ci leur apportent des compétences utiles pour leur avenir. Ces Petits Jobs donnent la possibilité d’évoluer et d’apprendre en fonction de là où le jeune se trouve, en respectant son rythme. Tout comme dans l’agir familier, l’accent n’est pas mis sur le résultat final du travail, mais bien sur l’apprentissage et la valorisation des progrès effectués par le jeune.

Sans expérience concrète avec les enfants, ils ont du mal à embaucher, donc ça m’a vraiment arrangé quoi.

Emilie (nom fictif), une jeune des Petits Jobs

En étant suivis de près, un lien fort semble s’établir entre les jeunes et les travailleurs sociaux qui les épaulent. Ces derniers mettent à disposition des jeunes leurs expériences et leurs ressources. Pour cela ils n’hésitent pas à contacter tout un ensemble de professionnels ou d’éventuels partenaires pour les aider à obtenir une place de stage, un entretien d’embauche ou toute autre expérience qui leur permettrait d’évoluer. Certains des jeunes que nous avons rencontrés ayant eu recours à ce soutien ont obtenu une attestation d’expérience professionnelle reconnue et qui leur a été d’une grande utilité. Bien entendu, tout au long de son suivi, le jeune est libre de maintenir cette relation dans la durée ou de la rendre plus ponctuelle.

C’est tout le travail de confiance et de responsabilité que tu peux amener, dans la relation qui fait que le lien il est sain. Et quand ils peuvent bosser, ils savent qu’on donne des responsabilités et qu’on leur fait confiance.

Olivier Dunand, TSHM à Versoix

Oui. Ils aident pour les CV, pour les lettres, pour les recherches d’apprentissage et ils m’ont aidé à envoyer des dossiers pour des entretiens d’embauches.

Anthony (nom fictif), un jeune des Petits Jobs

Ils ont tous des petits projets et ne sont pas ici pour passer des heures… Si ces heures sont toutes validées, elles vont être valables dans un projet futur.

Aricielle, responsable de l’accueil enfants à l’UPA

Cela dit, bien que cette approche artisanale soit visible au sein de l’outil Petit Job, celui-ci ne cesse de se développer. La demande de Petits Jobs étant en constante augmentation, il y a un risque qu’avec l’effectif actuel limité des travailleurs sociaux, ce travail de « sur-mesure » devienne de plus en plus difficile à mettre en place, malgré ses bienfaits.

En conclusion

En conclusion, l’outil Petit Job, composante essentielle du mandat des TSHMs à Versoix, répond de manière efficace aux divers objectifs fixés par les travailleurs sociaux et aux attentes de la commune. Grâce aux activités proposées dans le cadre de ces interventions, nos entretiens nous ont démontré que les Petits Jobs sont fédérateurs de liens au sein de la population. Par le biais, des TSHMs des jeunes qui se côtoient, habituellement ou non, sont invités à entrer en relation avec l’ensemble la population versoisienne. Ceci nous a permis de constater une forme de mixité intergénérationnelle lors des événements auxquels les jeunes participent. Ce qui a pour effet de diminuer les tensions qui peuvent exister au sein de la communauté.

Au-delà de la valorisation sociale qu’apporte cet outil, les jeunes bénéficient d’une multitude d’avantages à participer aux Petits Jobs. Outre le fait d’être rémunérés, les jeunes nous ont dit qu’ils se sentaient valorisés par le statut que leur concède l’expérience professionnelle, tout en se sentant soutenus. Ceci, grâce notamment aux TSHMs et à un environnement où la confiance prime.

Je pense que ces Petits Jobs peuvent éviter beaucoup de problèmes, ça les occupe et ils apprennent. Ça peut être que bien pour eux !

Aricielle, responsable de l’accueil enfant à l’UPA

Y avait pas mal de personnes âgées et les petits jeunes leur amenaient les chaises. Et ça a permis de mélanger les jeunes de Versoix avec toute la population adulte, les familles, les vieux, etc.

Samie Hamadouche, TSHM à Versoix

Et y’a plein de personnes qui ont appelé et écrit à la mairie en disant : « On  a vu des jeunes ramasser, etc. »  et tout ça, c’était vraiment cool ! Donc voilà, c’est aussi un des nombreux impacts des Petits Jobs. 

Olivier Dunand, TSHM à Versoix

Cependant, lors de notre enquête, nous avons remarqué les limites de cet outil. Notamment le manque de budget attribué aux TSHMs pour mettre en place des Petits Jobs tout au long de l’année, ainsi qu’un manque d’indépendance face à la commune. De manière ponctuelle, cette dernière propose quelques Petits Jobs conséquents en termes de main d’œuvre, ce qui nécessite de mobiliser beaucoup de jeunes en même temps. Une cérémonie telle que les jubilaires, bien que très intéressante pour les jeunes, représente de grandes dépenses en une seule fois pour une enveloppe annuelle limitée. A l’avenir, il serait potentiellement intéressant d’envisager la possibilité de revoir le budget Petit Job à la hausse ou de trouver des solutions avec des partenariats privés. Cela, afin de compenser ces sorties d’argent conséquentes et permettre de mieux distribuer les propositions de Petits Jobs sur l’ensemble de l’année.

A Versoix, cet outil socio-éducatif, que nous avons découvert par le biais des TSHMs, semble bénéfique puisqu’il tient ses promesses et qu’il permet effectivement de répondre à un certain nombre de problématiques sociales. Cependant, pour que les travailleurs sociaux puissent continuer à pérenniser le développement de celui-ci pour les jeunes de la commune, certains ajustements tels que ceux que nous venons de vous exposer pourraient être envisagés dans un avenir proche.

Réalisation

Hugo Chalifour, HETS Valais//Wallis
Jennifer Daussaint, Helmo Cfel (Belgique)
Andrea Yosselin Socualaya Mego, HETS Genève
Johan Guidetti, HETS Valais//Wallis

References

References
1 FASe (2017). Référentiel opérationnel du TSHM à la FASe.
2 Breviglieri, M. (2008). L’individu, le proche et l’institution: Travail social et politique de l’autonomie. Informations sociales, 145, 92-101.
3 Sennet, R. (2010). Ce que sait la main – la culture de l’artisanat. Yale University Press.