Dans le cadre d’une étude de terrain sur la commune de Versoix, nous nous sommes intéressés au quotidien des jeunes scolarisés au cycle d’orientation de cette commune. Ces jeunes viennent de Versoix mais également de communes avoisinantes. Grâce à des rencontres, des observations et une méthode qui nous a permis de récolter des données quantitatives (questionnaire digital rempli par les jeunes présents lors d’un repas de midi organisé), nous avons pu constater que plus des 2/3 des jeunes interrogés estiment que leurs journées ne sont pas si longues malgré le fait qu’ils ne rentrent pas manger à la maison à midi. Il est intéressant de relever que plus de la moitié de ces jeunes, habitant à Versoix ou aux alentours, ne rentrent pas à la maison non pas pour des raisons de proximité, mais pour garder un lien avec leurs amis durant le temps de pause.

Ainsi, nous avons porté une attention particulière aux différents dispositifs proposés pour dynamiser le temps de midi de ces élèves. Nous avons pu observer, dans l’enceinte du cycle d’orientation, plusieurs lieux proposés aux élèves pour partager leur dîner :

Le local 101 est un petit local au sein même du bâtiment scolaire géré par un animateur du Rado et une conseillère sociale. Ce local propose des tables ainsi qu’un espace salon. Toutefois, chaque élève doit venir muni de sa propre collation qui ne pourra pas être réchauffée sur place, faute de micro-onde. Ce lieu est ouvert tous les jours sauf le mercredi et le jeudi.

Le réfectoire est une salle annexée au bâtiment scolaire et surveillée par un professeur du CO. Ce lieu est muni de grandes tables et de micro-ondes. Toutefois, il ne propose aucun repas. Chaque élève doit venir muni de son propre dîner.

Nous avons porté une attention particulière au 3^ème lieu proposé, Jeudi Panini au Rado.

Tous les jeudis, le centre de rencontre « Le Rado », situé à quelques minutes à pied du centre scolaire de Versoix, propose un menu attrayant à prix attractif pour les jeunes, particulièrement pour les élèves du CO de Versoix. Pour un prix variant entre CHF 2.- et CHF 3.-, le panini de leur choix leur est vendu (3-4 choix proposés). Pour un supplément de CHF 1.-, les jeunes peuvent choisir une boisson pour s’hydrater. Des fruits sont également proposés pour le dessert gratuitement. Ce lieu d’accueil est géré par des animateurs ainsi que des moniteurs toujours présents pour assurer un accueil de qualité. Au Rado, autant durant le temps de midi qu’après les cours, les jeunes ont la possibilité de pouvoir se divertir librement en utilisant les différents jeux à disposition tels que du baby-foot, un billard, des jeux de société, du ping-pong, des jeux de ballons extérieur, une playstation, etc. Ce lieu rassurant permet la sociabilisation et l’épanouissement des jeunes qui s’y rendent.

Le questionnaire que nous avons fait remplir aux jeunes, qui se rendent à Jeudi Panini, nous a permis de tirer un portait socio-démographique de ces personnes.

Mais qui sont ces jeunes ?

Nous avons pu constater que la parité de genre est égale. Autant de fille que de garçons se rendent le jeudi dans ce lieu pour y passer leur pause de midi. La moitié de ceux-ci sont en 9H et représente donc la population la plus jeune du CO (environ 13 ans). Nous constatons que les plus grands, âgés de 15 ans et scolarisés en 11H font recours à d’autres lieux pour y passer leur pause.
D’autre part, nous remarquons qu’un peu plus de la moitié des jeunes viennent d’autres communes. Cependant, la part des Versoisiens présents à Jeudi Panini est quand même bien présente !

Lors de notre enquête, nous avons relevé l’importante satisfaction de tous les jeunes participant à ce repas organisé. C’est ainsi que nous les avons interrogés sur la nature de leur venue à Jeudi Panini et que nous avons pu y relever les 3 raisons principales :

Nous relevons que la raison première de leur venue est la possibilité de rencontrer leurs amis. L’adolescent veut donc se rapprocher de son groupe de pairs pour s’émanciper de son groupe d’appartenance filiale, sa famille. Cette identification est essentielle à l’adolescent car elle lui permet de développer sa propre identité et répond à des besoins éducatifs, personnels et sociaux.

« Pesto rouge ou pesto vert ? »

Les jeunes relèvent également cette possibilité de pouvoir dîner à petit prix. Nous souhaitons ici faire un lien avec la recherche d’indépendance que relèvent Hernandez, Oubrayrie-Roussel et Prêteur ^[1]Hernandez, L., Oubrayrie-Roussel, N. & Prêteur, Y. (2014). De l’affirmation de soi dans le groupe de pairs à la démobilisation scolaire, p.135-157. Ce besoin d’indépendance reflète le besoin de différenciation de l’adolescent face à ses pairs. Cette différenciation permet alors au sujet d’être socialement inscrit dans un groupe, d’exister de façon autonome et d’y trouver sa place. A Jeudi Panini, le jeune fera le choix de s’y rendre ou pas, choisira le repas qu’il veut manger et avec quels amis il souhaite passer son temps de midi (liens électifs). Il aura ainsi l’impression de maitriser la situation sans que ses pairs (autorité parental ou lien filial) n’exercent de contrôle sur ses comportements et ses attitudes. Cela offrira au jeune la capacité à être confiant dans ses choix et lui permettra de se créer une propre identité à travers ses propres objectifs et ainsi les défendre devant ses pairs en exprimant ses idées, ses opinions et ses sentiments ^[2]Hernandez, L., Oubrayrie-Roussel, N. & Prêteur, Y. (2014). De l’affirmation de soi dans le groupe de pairs à la démobilisation scolaire, p.138.

« On vient parce que c’est pas cher »

Camélia, 14 ans.

« Cela nous change de l’école »

Maxime, 14 ans.

« On peut être avec nos amis »

Nazim, 13 ans.

Au-delà des raisons, parfois pas choisies, de leur venue à Jeudi Panini, nous avons tenté d’identifier ce que ce moment apporte aux jeunes dans leur quotidien et leur vie en générale. Force est de constater que la plupart de ces jeunes portent un intérêt certain sur les liens sociaux qu’ils sont menés à créer ou à entretenir avec leurs camarades plutôt que sur le lieu de la rencontre en lui-même. En effet, ils fréquentent ce lieu par plaisir, pour être avec leurs amis, pour sortir du milieu scolaire mais aussi par besoin de protection et de reconnaissance. Selon Paugam, « les liens sont multiples et de nature différente, mais ils apportent tous aux individus à la fois la protection et la reconnaissance nécessaire à leur existences sociale » ^[3]Paugam, S. (2014). Intégration et inégalités : deux regards sociologiques à conjuguer, p.7. Ainsi, le cadre sécurisant offert par le Rado lors des repas de midi et les liens forts qu’entretiennent ces jeunes entres eux et avec les divers acteurs présents (animateurs, moniteurs, TSHM et conseillers sociaux) vont leurs permettre d’expérimenter et de développer leurs ressources sociales à travers les différents types de liens décrits par Paugam.

« « Compter sur » c’est protéger ;
« compter pour » c’est reconnaître »

« L’expression « compter sur » résume assez bien ce que l’individu peut espérer de sa relation aux autres et aux institutions en termes de protection, tandis que l’expression « compter pour » exprime l’attente, tout aussi vitale, de reconnaissance. » ^[4]Paugam, S. (2014). Intégration et inégalités : deux regards sociologiques à conjuguer, p.7.

C’est pourquoi ces jeunes « comptent sur » la maison de quartier, le Rado, pour les accueillir chaque midi (besoin de protection) mais ce même lieu compte aussi sur la présence des jeunes pour le faire vivre et ainsi faire valoir sa nécessité sociale réciproque (besoin de reconnaissance). Ce lieu ainsi que ceux qui le fréquentent deviennent alors une part d’eux-mêmes réciproquement (protection) tout en leur permettant d’y développer leurs capacités sociales pour y être reconnus par les autres (reconnaissance).

Ainsi, « Les liens qui assurent à l’individu protection et reconnaissance revêtent par conséquent une dimension affective qui renforce les interdépendances humaines. » ^[5]Paugam, S. (2014). Intégration et inégalités : deux regards sociologiques à conjuguer, p.8.

« On préfère venir à Jeudi Panini parce que tous nos amis y vont et qu’on peut être entre nous sans qu’un prof soit là »

Nicolas et Théo, 14 ans.

« On vient à Jeudi Panini, tous les jeudis, depuis trois ans et on adore ça ! »

Eléonore et Lia, 14 ans.

Si nous constatons que les jeunes se rendent à Jeudi Panini plus pour le lien social que pour le lieu de rencontre en lui-même, nous nous sommes questionnés sur leur venue au Rado à d’autres moments de la semaine. C’est ainsi que nous remarquons que proche de la moitié des jeunes interrogés ne se rendent jamais au Rado après l’école ou durant le week-end. La plupart expliquent cela par le fait qu’ils pratiquent d’autres activités extra scolaires (sport, musique, etc) ou simplement préfèrent rentrer chez eux après les cours.

Ces activités extra scolaires permettent aux jeunes d’intégrer un groupe d’appartenance différent de leur groupe de filiation (famille) et ainsi leur offrent la possibilité de créer leurs propres « liens de participation » ^[6]Paugam, S. (2014). Intégration et inégalités : deux regards sociologiques à conjuguer, p.8. Ainsi, les jeunes ont la possibilité de s’affirmer et de créer leur propre identité. « Cette quête d’identité via la socialisation par les pairs est d’autant plus importante que l’adolescent se situe dans un processus d’ « autonomie relationnelle » de plus en plus marqué qui lui octroie une totale liberté dans le choix de ses amis, de ses fréquentation et ainsi, des attentes et engagement vis-à-vis de ces derniers. » ^[7]Hernandez, L., Oubrayrie-Roussel, N. & Prêteur, Y. (2014). De l’affirmation de soi dans le groupe de pairs à la démobilisation scolaire, p.137.

« J’ai des activités extra-scolaires, des devoirs et avec le temps de trajet, je préfère rester chez moi après l’école. C’est pour ça que je vais pas au Rado »

Sonia, 14 ans.

S’émanciper de son groupe d’appartenance filiale, s’identifier à des pairs pour ainsi se créer ses liens électifs et sa propre identité, tel est l’important apport que relèvent les jeunes de leur venue à Jeudi Panini ! Arrivé à l’âge de l’adolescence, le besoin d’indépendance et de différenciation se fait ressentir et c’est ainsi grâce à cette autonomie requise durant le temps de midi que ces jeunes se découvrent une identité et une appartenance éloignés de leurs liens de filiation. Maîtres de leurs propres décisions durant ce court moment, ils développent leurs capacités d’affirmation de soi, de confiance en soi et en leurs choix. Ce lieu d’accueil et ce moment d’échange offrent aux jeunes la possibilité de se découvrir davantage, de se socialiser et de partager avec les amis, partage qui est fort enrichissant et formateur.

Et lorsqu’on leur demande s’ils viendraient si le Rado proposait un dîner un autre jour de la semaine, la réponse est à l’unanimité, Oui !

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