Engagement des jeunes dans l’espace public

L’engagement des jeunes dans les projets liés à l’espace public a pris un nouveau tournant dans la ville de Versoix grâce au dispositif « Place aux jeunes » mis en place au printemps 2021. Celui-ci a pour but de favoriser la cohésion sociale en encourageant les jeunes à proposer des projets d’utilité publique. Impliquant des services municpaux comme la cohésion sociale, la police municipale, la gérance et écoles ainsi que les professionnel·le·s du travail social, le dispositif « Place aux jeunes » vise à faciliter la mise en place de projets qui s’avèrent souvent être chemin complexe au niveau logistique et administratif. Ainsi, les jeunes profitent de délais raccourcis, communications facilitées et soutien pluridisciplinaire.

Groupe de pilotage

Célia Da Silva, cheffe de la cohésion sociale à Versoix nous explique qu’à la suite d’un appel à projet cantonal impliquant l’allocation d’un budget, elle formalise le dispositif. Grâce à celui-ci, elle souhaite avant tout favoriser la cohésion sociale et l’investissement des jeunes de sa commune. Selon elle ce n’est pas tant l’aboutissement d’un projet l’important mais bien l’apprentissage que les jeunes en auront fait. Elle cite le dispositif, qui a reçu bon accueil dans la commune, comme une fierté pour Versoix et mentionne néanmoins le temps et le travail conséquent qu’il nécessite.

 « Notre rôle en tant qu’adultes, en tant que professionnels, c’était de mettre en place les ressources pour que les jeunes puissent réaliser ces projets-là. »

Célia Da Silva. cheffe de la cohésion sociale, 17.11.21

« J’ai toute ma confiance en les travailleuses et travailleurs sociaux hors murs parce que c’est leur travail de pouvoir accompagner les jeunes dans la gestion de cette frustration. »

Célia Da Silva, cheffe de la cohésion sociale, 17.11.21

Florian Monod, policier municipal à Versoix, se montre encourageant et compréhensif avec les jeunes de la commune. Il nous est alors apparu comme une figure d’autorité proche de sa population et favorisant une approche préventive. D’autre part, il mentionne l’aspect collaboratif et pluridisciplinaire qu’induit cette démarche et la recommande vivement à d’autre communes.

« Je pense que c’est important que cette jeunesse soit responsabilisée et mise en valeur. »

Florian Monod, policier municipal, 19.01.21

« C’est vraiment de la pure collaboration, j’ai envie de dire, on a je pense le même objectif et du coup tout le monde tire à la même corde. »

Florian Monod, policier municipal, 19.01.21

Assia Hamdaoui, travailleuse sociale hors murs, favorise une approche bienveillante avec les jeunes en insistant sur son rôle qui consiste à comprendre les jeunes et les accompagner selon leurs besoins. Lorsqu’un·e jeune souhaite monter un projet, elle et son équipe, l’accueillent, réfléchissent avec lui·elle sur celui-ci, l’aident à rédiger la fiche de projet puis, ce sont les jeunes qui le présentent. Elle met le doigt sur la rapidité de le mise en place des projets qui découle du dispositif mais également sur la crédibilité qu’amène le soutien des différents acteurs lors d’une soumission de projet au conseil administratif.

« Si les critères pour le dispositif ne sont pas remplis, les TSHM continuent à accompagner les jeunes dans leurs projets, hors dispositif . »

Assia Hamdaoui, travailleuse sociale hors murs, 30.11.21)

« La porte d’ouverture, d’entrée dans le dispositif c’est les travailleuses et travailleurs sociaux hors murs. »

Assia Hamdaoui, travailleuse sociale hors murs, 30.11.21

Matthias Gomez, chef du service gérance et écoles a été confronté directement à l’incivilité anomique juvénile versoisienne. Il s’est rendu compte d’une des problématiques récurrentes que rencontraient les jeunes ; être chassés sans cesse des endroits publics qu’ils utilisent pour se réunir. Puis, il a pris le parti de donner la possibilité aux jeunes de se faire remarquer positivement. Grâce au dispositif et au réseau de professionnel qui s’est créé autour de celui-ci, il s’est vu proposé des jobs d’été à une mixité de jeunes plus élargies ce qui a permis de créer des liens entre le service de conciergerie et les jeunes, diminuant alors les déprédations dans certains lieux.

« Ils se faisaient chasser par les sociétés de sécurité, puis ensuite, ils allaient ailleurs. Je veux dire on ne peut pas juste leur demander de quitter les lieux et puis chacun rentre chez soi. »

Matthias Gomez, chef du service gérance et écoles, 09.11.21

« Ils ont trouvé des canapés sur un jour de débarras des encombrants, ils les ont amenés sur un site, et ensuite ils ont branchés une télé pour regarder les matchs de foot ou jouer à la PlayStation dans un préau, le concierge leur a mis une prise à disposition. »

Matthias Gomez, chef du service des gérances et écoles, 09.11.21

Grâce aux dires, représentations ou encore avis des différents acteurs sur le dispositif, nous avons constaté qu’ une dynamique de travail en réseau a été renforcée. En effet, tous et toutes exercent une fonction complètement différente qui ne sont, à la base, pas destinées à collaborer. Selon Amblard et al. (1996), le travail en réseau s’apparenterait à une forme de chaînage, cette dernière est la mise en relation de toutes les entités qui touchent ou sont touchées par divers problèmes, soit, la reconstitution du réseau. [1]Amblard H et al., 1996, Les nouvelles approches sociologiques des organisations, Seuil, p.136. Ici, les professionnelle·s ont débuté leur collaboration sur la base des constats relatifs aux incivilités à Versoix. Chacun·e touché·e et concerné·e à son niveau par cette problématique, ils ont alors tenté, ensemble, d’initier une réponse positive à ces observations. En incluant les jeunes dans une démarche volontaire et citoyenne, ils dépassent, vont au-delà, de la problématique pragmatique des incivilités et déprédations. Ce dispositif prend alors une fonction unificatrice, permettant à chaque acteur et actrice d’investir pleinement ses expertises professionnelles spécifiques au profit de la jeunesse et de la cohésion sociale. Il nous apparaît également nécessaire de notifier que dans une telle démarche, chacun·e semble y trouver son compte, propre à ses fonctions. Matthias Gomez, par exemple, observe moins de déprédations sur les bâtiments dont il est responsable. Florian Monod, quant à lui, constate une amélioration dans les relations entretenues avec la jeunesse grâce aux liens qui ont pu se créer avec eux. Assia Hamdaoui et son équipe investissent une relation nouvelle avec la jeunesse basée sur la mise en place de projets liés aux espaces publics communaux, ils profitent également des budgets alloués à la jeunesse qui sont parfois compliqués à obtenir. Célia Da Silva, quant à elle, profite et investit ce dernier afin de promouvoir et propulser la cohésion sociale dans un contexte nouveau.

Les projets des jeunes

Pour saisir l’utilisation concrète du dispositif, nous avons interviewé les jeunes utilisant de loin ou de près cet outil afin de mettre en place des projets d’utilité publique à Versoix. Certains projets sont en cours de réalisation, d’autres, en cours de discussion, ou encore, demeurent inachevés. Ces écarts peuvent s’expliquer par diverses raisons propres à chacun des projets et des jeunes les portant. Grâce à ce chapitre, nous tenterons de mettre en lumière la réalité vécue par les jeunes au travers de ce dispositif. Nous nous baserons alors sur les entretiens menés avec eux et nos analyses en découlant. Apprentissages divers, satisfaction, implication, développement du réseau mais également frustrations et déceptions seront évoqués.

Le projet du skate park à Versoix est né d’une idée spontanée, initiée par Alexandre, jeune Versoisien. Ce dernier a lancé et implanté son envie dans la ville à l’aide d’une pétition ainsi que de flyers qu’il a distribué massivement dans la ville. Lucie l’a alors contacté par les réseaux sociaux afin de se joindre au projet. Parallèlement, Cristyan proposait également le même projet au TSHM qui les ont alors réunis afin de former ce groupe de 3 jeunes, porteurs du projet skate park. Grâce à l’aide de Sami, TSHM à Versoix, ils ont rédigé une fiche de projet qu’ils ont présenté au conseil administratif de Versoix. Le projet a été accepté et s’est alors inscrit dans le dispositif « Place aux jeunes ». Depuis, le projet est en cours d’élaboration, demandant une sérieuse implication des jeunes ; constitution d’un association, négociation pour le lieu, choix des modules, …

Le projet studio de musique s’inscrit dans un historique quelque peu tumultueux. En effet, après certains conflits, il y a de cela plusieurs années, le studio a été fermé. À plusieurs reprises, des jeunes ont proposé de le relancer, sans succès. Récemment encore, Anice a tenté de le remettre sur pied dans le but de donner aux jeunes accès à des cours musique, ce dont il a eu la chance de bénéficier également. Face à différentes difficultés il a choisi d’abandonner le projet qui, selon lui, n’avançait pas, et il a préféré se concentrer sur ses études.

« En fait je voulais donner ce qu’on m’ avait donné. Vu qu’on m’avait donné des cours où j’ai pu faire quelque choses qui est mon métier aujourd’hui, gratuitement, dans lequel j’ai eu du plaisir avec mes amis. Franchement genre dans la semaine je me rappelle j’attendais juste le jeudi à 17h00 après le cycle, venir ici et m’amuser, tu vois? »

Anice, Versoix, novembre 2021

Liens avec le dispositif

La difficulté de conciliation entre la vie professionnelle ou les études et l’investissement bénévole dans le développement de projet a été souligné. On peut citer par exemple que le forum du mois de septembre s’est tenu dans l’après-midi, permettant difficilement aux jeunes en emploi de s’y rendre.

Les jeunes relèvent enfin que le parcours s’avère parfois long. On note ici une divergence avec le point de vue des professionnel.le.s qui nous expliquaient l’inverse, trouvant que le dispositif permettait une réponse plus réactive et une mise en oeuvre plus rapide.

« Moi c’est vraiment le skate-park qui m’a intéressé et en fait, après le skate-park, j’ai vu qu’il y avait le dispositif pour les jeunes. »

Lucie, Versoix, novembre 2021

 « Moi, je le dis et je le redis, faut pas s’étonner après que les jeunes se plaignent qu’il n’y a rien dans ce quartier. Tu vois. On a des locaux qui dorment jour et nuit qui sont pas exploités, alors qu’ils pourraient être exploités fois mille. »

Anice, Versoix, novembre 2021

« Ça pourrait être un projet intéressant de faire quelque chose qui parle à la jeunesse de Versoix enfaite, qu’ils se reconnaissent dedans en fait. »

Tony, Versoix, novembre 2021

Ressentis

« Pourtant il y a pleins de choses qui se passent hein, mais pour nous, il n’y a pas grande chose. »

Tony, Versoix, novembre 2021

« En fait, c’est un peu dur de travailler en équipe quand tout le monde veut être meneur de l’équipe. Alors je dis pas qu’il faut qu’il y en ait qu’un seul mais quand personne ne veut faire de concessions, c’est un peu dur. »

Lucie, Versoix, novembre 2021

Liens avec les TSHM

Un lien de confiance semble établi avec les TSHM. La prise de contact s’avère simple, les jeunes n’hésitent pas à les solliciter dès les phases d’élaboration de leurs projets afin de bénéficier d’un accompagnement et de conseils. Les TSHM les soutiennent activement ensuite durant toutes les autres étapes du processus. Il jouent véritablement le rôle d’intermédiaires entre la mairie et les jeunes, traduisant les demandes des uns et des autres, par exemple en transmettant des papiers à la mairie.

C’est grâce aux TSHM et à la coopération entre les services municipaux qu’une médiation a pu aboutir entre les jeunes et les concierges. La création d’un espace de parole et d’échange a permis la création d’un climat serein et d’entente concernant le réglement du préau de l’école.

D’une part, le lien créé, dans le cadre du dispositif avec les THSM, a permis de faire émerger des demandes comme dans le cas de Lucie qui souhaite trouver un nouveau local pour répéter la batterie. D’autre part, cette bonne entente a permis de mobiliser les jeunes de façon bénévole dans le cadre de la distribution de nourriture à Palexpo pendant le COVID.

Les TSHM trouvent que la jeunesse de Versoix est très stimulante et donne envie de s’investir pour sa cause.

Conclusion

Dans un esprit constructif et à titre de conclusion de notre enquête, nous avons décidé de décrire ci-dessous les avantages et les inconvénients du dispositif « Place aux jeunes » développé par la commune de Versoix. Dans un même temps, nous questionnons le sens de ce dispositif en prenant appui sur certaines ressources théoriques et constats de terrain.

Pour commencer nous relevons que ce dispositif n’a été mis en œuvre que très récemment et qu’il est par conséquent difficile d’en tirer des conclusions fiables et pérennes. Nous constatons que le dispositif « Place aux jeunes » agit positivement dans le sens de l’amélioration de la cohésion sociale et participe au développement du pouvoir d’agir des jeunes tout en favorisant leur engagement. Il soutient la croissance des compétences administratives et de communication des jeunes de la commune, les accompagnant ainsi vers une plus grande autonomie. Nous notons enfin que le dispositif a eu d’autres effets positifs, comme par exemple celui de créer des liens, d’améliorer les relations entre les jeunes et les professionnel.le.s ou encore renforcer le travail en réseau au sein des services communaux.

Au niveau des aspects pouvant être améliorés, nous avons constaté que le dispositif n’est encore que trop peu connu au sein de la population, c’est d’ailleurs ce qu’a confirmé le micro-trottoir que nous avons mené dans le quartier de la gare. Développer la communication donnerait l’occasion de faire connaître le dispositif « Place aux jeunes » à un plus large public et amènerait d’autres jeunes à présenter des projets ou à s’y engager ; participant ainsi au développement de la cohésion sociale sur leur territoire. La question de l’engagement prend ici tout son sens car s’en-gager, c’est laisser une part de soi au profit du collectif, une part de ses fantasmes au profit d’une réalité sociale partagée » [2]Lesaunier B, 2011, L’accompagnement, l’évaluation et la reconnaissance des porteurs de projets, Cahiers de l’action (33), p. 60.

Dans un autre registre, bien que la visée éducative du dispositif soit louable, nous craignons qu’un temps d’attente important ou un trop grand nombre de frustrations démotivent la jeunesse et provoquent ainsi une perte de confiance en « l’adulte » freinant le processus d’autonomisation dans lequel elle s’inscrit. Il nous semble important de combattre l’idée que « ce qu’une société (adulte) demande aux jeunes, c’est d’apprendre et d’attendre, de rester en somme des enfants, des irresponsables qui ne décident de rien, [3]Fize M., (2016), Jeunesses à l’abandon. La construction universelle d’une exclusion sociale. Mimésis, p. 72. Il est vrai que les représentations et le sentiment de confiance se construisent de part et d’autre dans une intime dialectique de tous les acteurs et actrices.

Enfin, comme le relève Lesaunier, nous attirons l’attention en particulier sur « le risque de formatage des projets des jeunes par les professionnels ou le risque de profusion de projets portés par les structures ou par des professionnels indépendamment des jeunes eux-mêmes », [4] Lesaunier, 2011, L’accompagnement, l’évaluation et la reconnaissance des porteurs de projets, Cahiers de l’action (33), p. 64. En effet, les acteurs et actrices prennent une place importante dans l’accompagnement des jeunes quant à la mise en place des projets, il s’agirait alors de bien garder en tête qu’il est plus pertinent de « faire avec » et non de « faire pour ». Attention en outre à ne pas privilégier « les projets des jeunes les plus autonomes qui nécessitent moins de présence et moins d’aide de la part des accompagnateurs », [5]Lesaunier, 2011, L’accompagnement, l’évaluation et la reconnaissance des porteurs de projets, Cahiers de l’action (33), pp. 63-64

Pour terminer nous relevons que l’image des jeunes doit encore évoluer auprès de la société. Il est important de combattre cette vision de violence anomique. Les jeunes ne commettent pas des déprédations pour le plaisir mais parce qu’ils s’ennuient. Plus on leur offre la possibilité de s’investir dans des projets, plus cela les stimule et développe leur compétences. Plus les jeunes participent à la construction du monde de demain, plus ils pourront s’y identifier et s’y sentir à leur place.

Réalisation

Arnaud Frossard, HETS-FR

Chloé Foretay, HETSL

Justine Laville, HETS-FR

Sophie Ruggiero, HETSL

References

References
1 Amblard H et al., 1996, Les nouvelles approches sociologiques des organisations, Seuil, p.136
2 Lesaunier B, 2011, L’accompagnement, l’évaluation et la reconnaissance des porteurs de projets, Cahiers de l’action (33), p. 60
3 Fize M., (2016), Jeunesses à l’abandon. La construction universelle d’une exclusion sociale. Mimésis, p. 72
4 Lesaunier, 2011, L’accompagnement, l’évaluation et la reconnaissance des porteurs de projets, Cahiers de l’action (33), p. 64
5 Lesaunier, 2011, L’accompagnement, l’évaluation et la reconnaissance des porteurs de projets, Cahiers de l’action (33), pp. 63-64